Partie 13
"Merci pour tout.
Fast Freddy, un voyage organisé est moins enrichissant au niveau rencontres, c'est certain, mais le barrage de la langue est insurmontable. La plupart des Ricains ne font AUCUN effort pour comprendre un étranger ni pour t'aider à les comprendre. Plusieurs fois, alors que je demandais poliment à quelqu'un de ralentir son rythme d'élocution ou d'utiliser des mots simples, mon interlocuteur a tout simplement tourné les talons et fin du dialogue! Surtout à New York.
Mais il y a aussi des mecs cool. Randolf en fait partie. Il louait une chambre à l'année dans l'hotel qui me servait de point de chute principal. Il était noir, avait 76 ans en 1990 et ses yeux bleus étaient si clairs qu'il parraissent presque blancs. Une sérénité parfaite et une douceur émanait de lui, je l'appréciais beaucoup, nous avions de longues conversations et nous mangions parfois ensemble. Il semblait très seul et j'aurais adoré l'avoir pour grand père.
Il ne faisait plus grand chose de sa vie et m'avais proposé son aide. Il m'avait donc emmené chercher une Corvette avec son break Ford Limited. Celui-ci avait un moteur de 502 CI soit 8200 cm3 ! Dans la calandre, deux phares additionnels à l'esthétique inhabituelle avaient attiré mon attention. Nous partîmes de nuit et sur la route, un camion avait oublié de passer de phare en code. Randolf lui fit un appel de phare, puis un autre mais sans effet. Au milieu du tableau de bord, un énorme interrupteur rouge genre coupe circuit d'usine m'avait aussi surpris. Randolf insulta le conducteur, cala son épaule sur le dossier et appuya sur le bouton quelques secondes. Tout d'un coup, la nuit se transforma en un paysage de neige en plein soleil. et Randolf éclata de rire. Le camion fit un écart mais réussit à contrôler son embardée. Quand Randolf arrêta de se marrer, il m'expliqua qu'il avait (difficilement) adapté des phares d'atterrissage de Boeing dans sa calandre mais qu'ils consomaient tellement qu'il avait du rajouter une batterie et que même comme ça, il ne fallait pas en abuser.
Si vous vous êtes déjà trouvés en bout de piste d'atterrissage d'un avion de ligne, vous avez peut-être remarqué comme, même à des kilomètres, les phares éblouissent, même de jour. Alors là, à quelques dizaines de mètres et en pleine nuit Je pense que le camioneur s'en souvient encore.
J'avais acheté, en 1987, à un papy un duo 1961. L'originalité, c'est que le papy l'avait achetée NEUVE en 1961 et l'avait donc gardé 36 ans !!! Mais là, il avait un pace maker et allait être opéré de la cataracte. Alors il la vendait. Il savait ce qu'il avait et connaissait la valeur même si elle était encore bien raisonable à cette époque et en tous cas très sensiblement inférieure à celle des Shovel.
La moto était 100 % d'origine et tournait correctement mais sont état inspirait la pitié : Pour l'empècher de rouiller, les pièces avaient été repeintes (au pinceau hein ! ) au fur et à mesure avec les fonds de pots de peinture disponibles sur le moment. Le cadre était blanc pisseux, les gardes boue orange vaguement métalisé, les pare jambes verdâtres ... Le moteur fumait copieusement et pissait l'huile. Mais bon, c'était un Panhead, complet et pas bidouillé.
Nous fîmes affaire et le bonhomme avait les yeux humides quand je suis parti avec. 36 ans de vie commune, pas tant de couples peuvent s'en vanter.
Le transporteur me prit pour un clodo pour vouloir faire voyager une telle épave, les douaniers, pour une fois, trouvèrent que je l'avais payée trop cher et la plupart des mecs que je connaissais dans le milieu HD se moquèrent. Seuls quelques connaisseurs s'extasièrent.
J'ai roulé avec cette moto, en l'état, pendant deux ans. Au feux rouge, systématiquement, le caisseux à coté descendait sa vitre et me demandait l'année de fabrication. Les motards s'intérressaient à cette mamie et jamais aucune autre de mes moto n'a eu un tel potentiel sympathie. Je suppose que Fred vit çà à chaque sortie.
Mais elle fumait de plus en plus : les potes de virée ralaient et elle commençait à avoir beaucoup de mal à démarrer. Nous décidâmes donc de la restaurer. Une fois le moteur déposé, autant s'occuper du reste : Décapage, ponçage, peinture, chromage. Les pneus, les chaines, les roulements, les cables, les freins tout fut remonté à neuf. Les pièces sont toutes dispo et pas chères surtout achetées là bas. Le moteur fut démonté, sablé, refait ainsi que la transmission. Une fois finie, elle était superbe, sobre dans sa livrée blanc "beurre frais" et après quelques ajustages roula fort bien.
L'arrivée de mon Electra 65 à ses cotés ne la perturba pas mais c'est vrai qu'elles se ressemblaient pas mal et je passais quelques annonces pour, éventuellement, la vendre, sans grand succès. Celà ne me fit aucune peine qu'elle reste là, au contraire. J'avais vu, sur une plaque émaillée, un duo bleu pastel et blanc et avais eu le coup de foudre. Repeinture.
Et puis, il y a 2 ou 3 ans, coup de fil de Bretagne. Un mec la voulait. Je n'étais plus très vendeur et le mec insistait, me faisait des propositions et nous nous accordâmes sur un prix. Mais sur le principe, je n'avais pas très envie. Et puis un matin, presque sans prévenir, le mec se pointe chez moi avec une remorque et les sous. Pas trop le choix.
Je sais qu'elle est entre de bonne mains et ai eu de ses nouvelles. Maintenant elle est noire et continue sa vie. Old Harley never die ... On vous l'dit...
J'ai acheté peu de motos aux USA chez les Harley-Davidson official Dealers car elles étaient souvent chères et que la garantie, je ne pouvais pas en faire grand chose.
A Edison, New Jersey, Bill est le patron de la concession. C'est le parfait business man, souriant quand il y a du blé à prendre, pressé sinon.
Je lui achète un joli FXR évo. Il y a un petit règlage à faire et nous la poussons dans l'atelier, propre, moderne et bien équipé.
En hauteur, je remarque une palette, couverte de cylindres fonte empilés sur 5 ou 6 épaisseurs. Donc peut-être 200 cylindres neufs !!!
Devant mes yeux étonnés, Bill se marre :
- J'étais sur que tu allais remarquer ça. Allez, suis-moi !
Et il me raconte l'histoire : Comme toutes les marques au monde, Harley a l'obligation de fournir des pièces détachées aux propriétaires de motos de moins de dix ans. Les derniers Shovel sont sortis en 1983 et donc, en 1993, l'usine n'était plus obligée de fournir de pièces pour ces motos et elle a proposé un lot indissociable de l'ensemble de son stock de pièces. Le lot était énorme et représentait une somme considérable, autours du million de $. Mais, aux States, les banquiers ne sont pas frileux et Bill est persuasif quand il sent la bonne affaire. C'est son offre qui est la plus élevée et il emporte le morceau. Quelques semaines plus tards, pas moins de sept gigantesques semi-remorques aux couleurs de la compagnie arrivent à Edison avec environ 200 tonnes de pièces. Tout ça tient une place considérable et Bill a fait ajouter un étage complet à la concession pour stocker les pièces de Shovel.
Et il vaut mieux que le plancher soit solide !!! C'est la réflexion que je me fais en regardant les interminables et hautes étagères couvertes de carters, de villebrequins, de culasses, de cadres, de roues, de gardes boue ... Tout ça, NEUF.
Il ya probablement de quoi construire plusieurs dizaines de motos neuves pratiquement sans que celà ne se voit. J'en fais part à Bill qui me confie qu'il y a pensé mais qu'il gagne bien plus d'argent en vendant les pièces détachées. Il affirme que, dans la première année, il a un peu bradé pour vendre vite, en quantité, mais qu'il a ainsi payé le stock !!! Tout ce qui reste, c'est le bénéfice. Et il en restait encore, croyez-moi, la dernière fois que j'y suis allé.
Ne l'appelez pas pour une broutille, mais si vous cherchez une grosse pièce difficile à trouver : Harley-Davidson of Edison, NJ. Ils sont dans l'annuaire. Ne le dites pas à tout le monde, hein ? Promis ?
Je vous dirais bien de demander Bill mais à mon avis, lui coule maintenant des jours heureux aux Bahamas ou à Hawaïe. "
Là on approche du final